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Par
Plumes1 le
30 Août 2007 à 21:56
Cette histoire, enfants, va vous paraître un mensonge, et pourtant elle
est vraie; car mon grand-père, de qui je la tiens, ne manquait jamais,
quand il me la racontait, d'ajouter: « Il faut pourtant qu'elle soit
vraie; sans cela on ne la raconterait pas. » Voici l'histoire, telle
qu'elle s'est passée. C'était dans une matinée d'été, pendant le
temps de la moisson, précisément quand le sarrasin est en fleur. Le
soleil brillait dans le ciel, le vent du matin soufflait sur les blés,
les alouettes chantaient dans l'air, les abeilles bourdonnaient dans le
sarrasin, et les gens se rendaient à l'église dans leur toilette du
dimanche, et toutes les créatures étaient en joie, et le hérisson aussi.
Mais le hérisson se tenait devant sa porte; il avait les bras croisés,
regardait couler le temps, et chantait sa petite chanson, ni mieux ni
plus mal que ne chante un hérisson par une belle matinée de dimanche.
Tandis qu'il chantait ainsi à demi-voix, il eut l'idée assez hardie
vraiment, pendant que sa femme lavait et habillait les enfants, de
faire quelques pas dans la plaine et d'aller voir comment poussaient
ses navets. Les navets étaient tout près de sa maison, et il était dans
l'habitude d'en manger, lui et sa famille; aussi les regardait-il comme
lui appartenant. Aussitôt dit aussitôt fait. Le hérisson ferma la porte
derrière lui, et se mit en route. Il était à peine hors de chez lui et
il allait justement tourner un petit buisson qui bordait le champ où
étaient les navets, quand il rencontra le lièvre, qui était sorti dans
une intention toute semblable pour aller visiter ses choux. Quand le
hérisson aperçut le lièvre, il lui souhaita amicalement le bonjour.
Mais le lièvre, qui était un grand personnage à sa manière, et de plus
très fier de son naturel, ne rendit pas le salut au hérisson, mais lui
dit, et d'un air extrêmement moqueur : « Comment se fait-il que tu
coures comme cela les champs par une si belle matinée? Je vais me promener, dit le hérisson. Te promener ! dit en riant le lièvre; il me semble qu'il te faudrait pour cela d'autres jambes. »
Cette réponse déplut extraordinairement au hérisson; car il ne se
fâchait jamais, excepté quand il était question de ses jambes,
précisément parce qu'il les avait torses de naissance. « Tu t'imagines
peut-être, dit-il au lièvre, que tes jambes valent mieux que les
miennes? Je m'en flatte, dit le lièvre. C'est ce qu'il faudrait voir, repartit le hérisson; je parie que si nous courons ensemble, je courrai mieux que toi.
Avec tes jambes torses? tu veux te moquer, dit le lièvre; mais soit,
je le veux bien, si tu en as tant d'envie. Que gagerons-nous? Un beau louis d'or et une bouteille de brandevin, dit le hérisson. Accepté, dit le lièvre; tope, et nous pouvons en faire l'épreuve sur-le-champ.
Non; cela n'est pas si pressé, dit le hérisson ; je n'ai encore rien
pris ce matin; je veux d'abord rentrer chez moi et manger un morceau ;
dans une demi-heure je serai au rendez-vous. » Le lièvre y
consent, et le hérisson s'en va. En chemin, il se disait : « Le lièvre
se fie à ses longues jambes, mais je lui jouerai un tour. Il fait son
important, mais ce n'est qu'un sot, et il le payera. » En
arrivant chez lui, le hérisson dit donc à sa femme : « Femme,
habille-toi vite ; il faut que tu viennes aux champs avec moi. Qu'y a-t-il donc? dit la femme.
J'ai parié avec le lièvre un beau louis d'or et une bouteille de
brandevin que je courrais mieux que lui, et il faut que tu sois de la
partie. Bon Dieu! mon homme, dit du haut de sa tête la femme
au hérisson, es-tu dans ton bon sens ou as-tu perdu la cervelle ?
Comment prétends-tu lutter à la course avec le lièvre?
Silence, ma femme, dit le hérisson; c'est mon affaire. Ne te mêle pas
de ce qui regarde les hommes. Marche, habille-toi et partons ensemble.» Que pouvait faire la femme du hérisson? Il fallait bien obéir, qu'elle en eût envie ou non.
Comme ils cheminaient ensemble, le hérisson dit à sa femme : « Fais
bien attention à ce que je vais te dire. Nous allons courir dans cette
grande pièce de terre que tu vois. Le lièvre court dans un sillon et
moi dans l'autre, nous partirons de là-bas. Tu n'as qu'à te tenir
cachée dans le sillon, et, quand le lièvre arrivera près de toi, tu te
montreras à lui en criant: « Me voila! » Tout en disant cela ils
étaient arrivés; le hérisson marqua à sa femme la place qu'elle devait
tenir et il remonta le champ. Quand il fut au bout, il y trouva le
lièvre, qui lui dit : « Allons-nous courir? Sans doute, reprit le hérisson. En route donc. »
Et chacun se plaça dans son sillon. Le lièvre dit: « Une, deux, trois!
» et partit comme un tourbillon, arpentant le terrain. Le hérisson fit
trois pas à peu près, puis se tapit dans le sillon et y demeura coi.
Quand le lièvre fut arrivé à de grandes enjambées au bout de la pièce
de terre, la femme du hérisson lui cria : « Me voilà! » Le lièvre fut
tout étonné et s'émerveilla fort. Il croyait bien entendre le hérisson
lui-même, car la femme ressemblait parfaitement à son mari. Le
lièvre dit : « Le diable est là pour quelque chose. » Il cria: «
Recommençons; encore une course. » Et il courut encore, partant ainsi
qu'un tourbillon, si bien que ses oreilles volaient au vent. La femme
du hérisson ne bougea pas de sa place. Quand le lièvre arriva à l'autre
bout du champ, le hérisson lui cria : « Me voila! » Le lièvre, tout
hors de lui, dit : « Recommençons, coûrons encore. Je ne dis pas non, reprit le hérisson; je suis prêt à continuer tant qu'il te plaira. »
Le lièvre courut ainsi soixante-treize fois de suite, et le hérisson
soutint la lutte jusqu'à la fin. Chaque fois que le lièvre arrivait à
un bout ou à l'autre du champ, le hérisson ou sa femme disaient
toujours : « Me voilà ! » A la soixante-quatorzième fois, le
lièvre ne put achever. Au milieu des champs, il roula à terre ; le sang
lui sortait par le cou, et il expira sur la place. Le hérisson prit le
louis d'or qu'il avait gagné et la bouteille de brandevin; il appela sa
femme pour la faire sortir de son sillon; tous deux rentrèrent très
contents chez eux, et, s'ils ne sont morts depuis, ils vivent encore.
C'est ainsi que le hérisson, dans la lande de Buxtehude1, courut si
bien qu'il fit mourir le lièvre à la peine, et depuis ce temps-là aucun
lièvre ne s'est avisé de défier à la course un hérisson de Buxtehude.
La morale de cette histoire, c'est d'abord que nul, si important qu'il
s'imagine être, ne doit s'aviser de rire aux dépens d'un plus petit,
fût-ce un hérisson; et, secondement qu'il est bon, si vous songez à
prendre une femme, de la prendre dans votre condition et toute
semblable à vous. Si donc vous êtes hérisson, ayez bien soin que votre
femme soit hérissonne, et de même pour toutes les espèces.
Les contes de Grimm
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