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Plumes1 dans
Poésies & poèmes célèbres le
18 Août 2007 à 18:31
Dans la nuit de l'hiver Galope un grand homme blanc. Galope un grand homme blanc. C'est un bonhomme de neige Avec une pipe en bois Un grand bonhomme de neige Poursuivi par le froid. Il arrive au village Il arrive au village Voyant de la lumière, le voilà rassuré. Dans une petite maison, il entre sans frapper. Dans une petite maison, il entre sans frapper. Et pour se réchauffer Et pour se réchauffer S'asseoit sur le poêle rouge Et d'un coup disparaît. Ne laissant que sa pipe Au milieu d'une flaque d'eau Ne laissant que sa pipe Et puis son vieux chapeau.
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Plumes1 dans
Contes célèbres le
18 Août 2007 à 18:29
Au large dans la mer, l'eau est bleue comme les pétales du plus beau
bleuet et transparente comme le plus pur cristal; mais elle est si
profonde qu'on ne peut y jeter l'ancre et qu'il faudrait mettre l'une
sur l'autre bien des tours d'église pour que la dernière émerge à la
surface. Tout en bas, les habitants des ondes ont leur demeure. Mais
n'allez pas croire qu'il n'y a là que des fonds de sable nu blanc, non
il y pousse les arbres et les plantes les plus étranges dont les tiges
et les feuilles sont si souples qu'elles ondulent au moindre mouvement
de l'eau. On dirait qu'elles sont vivantes. Tous les poissons, grands
et petits, glissent dans les branches comme ici les oiseaux dans l'air.
A l'endroit le plus profond s'élève le château du Roi de la Mer.
Les murs en sont de corail et les hautes fenêtres pointues sont faites
de l'ambre le plus transparent, mais le toit est en coquillages qui se
ferment ou s'ouvrent au passage des courants. L'effet en est féerique
car dans chaque coquillage il y a des perles brillantes dont une seule
serait un ornement splendide sur la couronne d'une reine. Le Roi
de la Mer était veuf depuis de longues années, sa vieille maman tenait
sa maison. C'était une femme d'esprit, mais fière de sa noblesse; elle
portait douze huîtres à sa queue, les autres dames de qualité n'ayant
droit qu'à six. Elle méritait du reste de grands éloges et cela surtout
parce qu'elle aimait infiniment les petites princesses de la mer,
filles de son fils. Elles étaient six enfants charmantes, mais la plus
jeune était la plus belle de toutes, la peau fine et transparente tel
un pétale de rose blanche, les yeux bleus comme l'océan profond ...
mais comme toutes les autres, elle n'avait pas de pieds, son corps se
terminait en queue de poisson. Le château était entouré d'un grand
jardin aux arbres rouges et bleu sombre, aux fruits rayonnants comme de
l'or, les fleurs semblaient de feu, car leurs tiges et leurs pétales
pourpres ondulaient comme des flammes. Le sol était fait du sable le
plus fin, mais bleu comme le soufre en flammes. Surtout cela planait
une étrange lueur bleuâtre, on se serait cru très haut dans l'azur avec
le ciel au-dessus et en dessous de soi, plutôt qu'au fond de la mer. Par temps très calme, on apercevait le soleil comme une fleur de pourpre, dont la corolle irradiait des faisceaux de lumière. Chaque
princesse avait son carré de jardin où elle pouvait bêcher et planter à
son gré, l'une donnait à sa corbeille de fleurs la forme d'une baleine,
l'autre préférait qu'elle figurât une sirène, mais la plus jeune fit la
sienne toute ronde comme le soleil et n'y planta que des fleurs
éclatantes comme lui. C'était une singulière enfant, silencieuse
et réfléchie. Tandis que ses surs ornaient leurs jardinets des objets
les plus disparates tombés de navires naufragés, elle ne voulut, en
dehors des fleurs rouges comme le soleil de là- haut, qu'une statuette
de marbre, un charmant jeune garçon taillé dans une pierre d'une
blancheur pure, et échouée, par suite d'un naufrage, au fond de la mer.
Elle planta près de la statue un saule pleureur rouge qui grandit à
merveille. Elle n'avait pas de plus grande joie que d'entendre parler
du monde des humains. La grand-mère devait raconter tout ce qu'elle
savait des bateaux et des villes, des hommes et des bêtes et, ce qui
l'étonnait le plus, c'est que là- haut, sur la terre, les fleurs
eussent un parfum, ce qu'elles n'avaient pas au fond de la mer, et que
la forêt y fût verte et que les poissons voltigeant dans les branches
chantassent si délicieusement que c'en était un plaisir. C'étaient les
oiseaux que la grand-mère appelait poissons, autrement les petites
filles ne l'auraient pas comprise, n'ayant jamais vu d'oiseaux. -
Quand vous aurez vos quinze ans, dit la grand-mère, vous aurez la
permission de monter à la surface, de vous asseoir au clair de lune sur
les rochers et de voir passer les grands vaisseaux qui naviguent et
vous verrez les forêts et les villes, vous verrez ! Au cours de
l'année, l'une des surs eut quinze ans et comme elles se suivaient
toutes à un an de distance, la plus jeune devait attendre cinq grandes
années avant de pouvoir monter du fond de la mer. Mais chacune
promettait aux plus jeunes de leur raconter ce qu'elle avait vu de plus
beau dès le premier jour, grand-mère n'en disait jamais assez à leur
gré, elles voulaient savoir tant de choses ! Aucune n'était plus
impatiente que la plus jeune, justement celle qui avait le plus
longtemps à attendre, la silencieuse, la pensive ... Que de nuits
elle passait debout à la fenêtre ouverte, scrutant la sombre eau bleue
que les poissons battaient de leurs nageoires et de leur queue. Elle
apercevait la lune et les étoiles plus pâles il est vrai à travers
l'eau, mais plus grandes aussi qu'à nos yeux. Si parfois un nuage noir
glissait au-dessous d'elles, la petite savait que c'était une baleine
qui nageait dans la mer, ou encore un navire portant de nombreux
hommes, lesquels ne pensaient sûrement pas qu'une adorable petite
sirène, là, tout en bas, tendait ses fines mains blanches vers la
quille du bateau. Vint le temps où l'aînée des princesses eut quinze ans et put monter à la surface de la mer. A
son retour, elle avait mille choses à raconter mais le plus grand
plaisir, disait-elle, était de s'étendre au clair de lune sur un banc
de sable par une mer calme et de voir, tout près de la côte, la grande
ville aux lumières scintillantes comme des centaines d'étoiles,
d'entendre la musique et tout ce vacarme des voitures et des gens,
d'apercevoir tant de tours d'églises et de clochers, d'entendre sonner
les cloches. Justement, parce qu'elle ne pouvait y aller, c'était de
cela qu'elle avait le plus grand désir. Oh! comme la plus jeune sur
l'écoutait passionnément, et depuis lors, le soir, lorsqu'elle se
tenait près de la fenêtre ouverte et regardait en haut à travers l'eau
sombre et bleue, elle pensait à la grande ville et à ses rumeurs, et il
lui semblait entendre le son des cloches descendant jusqu'à elle.
L'année suivante, ce fut le tour de la troisième sur. Elle était la
plus hardie de toutes, aussi remonta-t-elle le cours d'un large fleuve
qui se jetait dans la mer. Elle vit de jolies collines vertes couvertes
de vignes, des châteaux et des fermes apparaissaient au milieu des
forêts, elle entendait les oiseaux chanter et le soleil ardent
l'obligeait souvent à plonger pour rafraîchir son visage brûlant.
Dans
une petite anse, elle rencontra un groupe d'enfants qui couraient tout
nus et barbotaient dans l'eau. Elle aurait aimé jouer avec eux, mais
ils s'enfuirent effrayés, et un petit animal noir - c'était un chien,
mais elle n'en avait jamais vu - aboya si férocement après elle qu'elle
prit peur et nagea vers le large.
La quatrième n'était pas si
téméraire, elle resta au large et raconta que c'était là précisément le
plus beau. On voyait à des lieues autour de soi et le ciel, au-dessus,
semblait une grande cloche de verre. Elle avait bien vu des navires,
mais de très loin, ils ressemblaient à de grandes mouettes, les
dauphins avaient fait des culbutes et les immenses baleines avaient
fait jaillir l'eau de leurs narines, des centaines de jets d'eau.
Vint
enfin le tour de la cinquième sur. Son anniversaire se trouvait en
hiver, elle vit ce que les autres n'avaient pas vu. La mer était toute
verte, de- ci de-là flottaient de grands icebergs dont chacun avait
l'air d'une perle.
Elle était montée sur l'un d'eux et tous les
voiliers s'écartaient effrayés de l'endroit où elle était assise, ses
longs cheveux flottant au vent, mais vers le soir les nuages
obscurcirent le ciel, il y eut des éclairs et du tonnerre, la mer noire
élevait très haut les blocs de glace scintillant dans le zigzag de la
foudre. Sur tous les bateaux, on carguait les voiles dans l'angoisse et
l'inquiétude, mais elle, assise sur l'iceberg flottant, regardait la
lame bleue de l'éclair tomber dans la mer un instant illuminée.
La
première fois que l'une des surs émergeait à la surface de la mer,
elle était toujours enchantée de la beauté, de la nouveauté du
spectacle, mais, devenues des filles adultes, lorsqu'elles étaient
libres d'y remonter comme elles le voulaient, cela leur devenait
indifférent, elles regrettaient leur foyer et, au bout d'un mois, elles
disaient que le fond de la mer c'était plus beau et qu'on était si bien
chez soi !
Lorsque le soir les surs, se tenant par le bras,
montaient à travers l'eau profonde, la petite dernière restait toute
seule et les suivait des yeux ; elle aurait voulu pleurer, mais les
sirènes n'ont pas de larmes et n'en souffrent que davantage.
-
Hélas ! que n'ai-je quinze ans ! soupirait-elle. Je sais que moi
j'aimerais le monde de là-haut et les hommes qui y construisent leurs
demeures.
- Eh bien, tu vas échapper à notre autorité, lui dit sa
grand-mère, la vieille reine douairière. Viens, que je te pare comme
tes surs. Elle mit sur ses cheveux une couronne de lys blancs dont
chaque pétale était une demi-perle et elle lui fit attacher huit
huîtres à sa queue pour marquer sa haute naissance.
- Cela fait mal, dit la petite.
- Il faut souffrir pour être belle, dit la vieille.
Oh!
que la petite aurait aimé secouer d'elle toutes ces parures et déposer
cette lourde couronne! Les fleurs rouges de son jardin lui seyaient
mille fois mieux, mais elle n'osait pas à présent en changer.
-Au revoir, dit-elle, en s'élevant aussi légère et brillante qu'une bulle à travers les eaux.
Le
soleil venait de se coucher lorsqu'elle sortit sa tête à la surface,
mais les nuages portaient encore son reflet de rose et d'or et, dans
l'atmosphère tendre, scintillait l'étoile du soir, si douce et si
belle! L'air était pur et frais, et la mer sans un pli.
Un grand
navire à trois mâts se trouvait là, une seule voile tendue, car il n'y
avait pas le moindre souffle de vent, et tous à la ronde sur les
cordages et les vergues, les matelots étaient assis. On faisait de la
musique, on chantait, et lorsque le soir s'assombrit, on alluma des
centaines de lumières de couleurs diverses. On eût dit que flottaient
dans l'air les drapeaux de toutes les nations.
La petite sirène
nagea jusqu'à la fenêtre du salon du navire et, chaque fois qu'une
vague la soulevait, elle apercevait à travers les vitres transparentes
une réunion de personnes en grande toilette. Le plus beau de tous était
un jeune prince aux yeux noirs ne paraissant guère plus de seize ans.
C'était son anniversaire, c'est pourquoi il y avait grande fête.
Les
marins dansaient sur le pont et lorsque Le jeune prince y apparut, des
centaines de fusées montèrent vers le ciel et éclatèrent en éclairant
comme en plein jour. La petite sirène en fut tout effrayée et replongea
dans l'eau, mais elle releva bien vite de nouveau la tête et il lui
parut alors que toutes les étoiles du ciel tombaient sur elle. Jamais
elle n'avait vu pareille magie embrasée. De grands soleils flamboyants
tournoyaient, des poissons de feu s'élançaient dans l'air bleu et la
mer paisible réfléchissait toutes ces lumières. Sur le navire, il
faisait si clair qu'on pouvait voir le moindre cordage et naturellement
les personnes. Que le jeune prince était beau, il serrait les mains à
la ronde, tandis que la musique s'élevait dans la belle nuit !
Il
se faisait tard mais la petite sirène ne pouvait détacher ses regards
du bateau ni du beau prince. Les lumières colorées s'éteignirent, plus
de fusées dans l'air, plus de canons, seulement, dans le plus profond
de l'eau un sourd grondement. Elle flottait sur l'eau et les vagues la
balançaient, en sorte qu'elle voyait l'intérieur du salon. Le navire
prenait de la vitesse, l'une après l'autre on larguait les voiles, la
mer devenait houleuse, de gros nuages parurent, des éclairs
sillonnèrent au loin le ciel. Il allait faire un temps épouvantable !
Alors, vite les matelots replièrent les voiles. Le grand navire roulait
dans une course folle sur la mer démontée, les vagues, en hautes
montagnes noires, déferlaient sur le grand mât comme pour l'abattre, le
bateau plongeait comme un cygne entre les lames et s'élevait ensuite
sur elles.
Les marins, eux, si la petite sirène s'amusait de cette
course, semblaient ne pas la goûter, le navire craquait de toutes
parts, les épais cordages ployaient sous les coups. La mer attaquait.
Bientôt le mât se brisa par le milieu comme un simple roseau, le bateau
prit de la bande, l'eau envahit la cale.
Alors seulement la petite
sirène comprit qu'il y avait danger, elle devait elle- même se garder
des poutres et des épaves tourbillonnant dans l'eau.
Un instant
tout fut si noir qu'elle ne vit plus rien et, tout à coup, le temps
d'un éclair, elle les aperçut tous sur le pont. Chacun se sauvait comme
il pouvait. C'était le jeune prince qu'elle cherchait du regard et,
lorsque le bateau s'entrouvrit, elle le vit s'enfoncer dans la mer
profonde.
Elle en eut d'abord de la joie à la pensée qu'il
descendait chez elle, mais ensuite elle se souvint que les hommes ne
peuvent vivre dans l'eau et qu'il ne pourrait atteindre que mort le
château de son père.
Non ! il ne fallait pas qu'il mourût ! Elle
nagea au milieu des épaves qui pouvaient l'écraser, plongea
profondément puis remonta très haut au milieu des vagues, et enfin elle
approcha le prince. Il n'avait presque plus la force de nager, ses bras
et ses jambes déjà s'immobilisaient, ses beaux yeux se fermaient, il
serait mort sans la petite sirène.
Quand vint le matin, la tempête s'était apaisée, pas le moindre débris
du bateau n'était en vue; le soleil se leva, rouge et étincelant et
semblant ranimer les joues du prince, mais ses yeux restaient clos. La
petite sirène déposa un baiser sur son beau front élevé et repoussa ses
cheveux ruisselants. Elle
voyait maintenant devant elle la terre ferme aux hautes montagnes
bleues couvertes de neige, aux belles forêts vertes descendant jusqu'à
la côte. Une église ou un cloître s'élevait là - elle ne savait au
juste, mais un bâtiment. Des citrons et des oranges poussaient
dans le jardin et devant le portail se dressaient des palmiers. La mer
creusait là une petite crique à l'eau parfaitement calme, mais très
profonde, baignant un rivage rocheux couvert d'un sable blanc très fin.
Elle nagea jusque-là avec le beau prince, le déposa sur le sable en
ayant soin de relever sa tête sous les chauds rayons du soleil. Les
cloches se mirent à sonner dans le grand édifice blanc et des jeunes
filles traversèrent le jardin. Alors la petite sirène s'éloigna à la
nage et se cacha derrière quelque haut récif émergeant de l'eau, elle
couvrit d'écume ses cheveux et sa gorge pour passer inaperçue et se mit
à observer qui allait venir vers le pauvre prince. Une jeune fille
ne tarda pas à s'approcher, elle eut d'abord grand-peur, mais un
instant seulement, puis elle courut chercher du monde. La petite sirène
vit le prince revenir à lui, il sourit à tous à la ronde, mais pas à
elle, il ne savait pas qu'elle l'avait sauvé. Elle en eut grand-peine
et lorsque le prince eut été porté dans le grand bâtiment, elle plongea
désespérée et retourna chez elle au palais de son père. Elle avait
toujours été silencieuse et pensive, elle le devint bien davantage. Ses
surs lui demandèrent ce qu'elle avait vu là-haut, mais elle ne raconta
rien. Bien souvent le soir et le matin elle montait jusqu'à la
place où elle avait laissé le prince. Elle vit mûrir les fruits du
jardin et elle les vit cueillir, elle vit la neige fondre sur les
hautes montagnes, mais le prince, elle ne le vit pas, et elle
retournait chez elle toujours plus désespérée. A la fin elle n'y
tint plus et se confia à l'une de ses surs. Aussitôt les autres furent
au courant, mais elles seulement et deux ou trois autres sirènes qui ne
le répétèrent qu'à leurs amies les plus intimes. L'une d'elles savait
qui était le prince, elle avait vu aussi la fête à bord, elle savait
d'où il était, où se trouvait son royaume. - Viens, petite sur, dirent les autres princesses. Et, s'enlaçant, elles montèrent en une longue chaîne vers la côte où s'élevait le château du prince. Par
les vitres claires des hautes fenêtres on voyait les salons magnifiques
où pendaient de riches rideaux de soie et de précieuses portières. Les
murs s'ornaient, pour le plaisir des yeux, de grandes peintures. Dans
la plus grande salle chantait un jet d'eau jaillissant très haut vers
la verrière du plafond. Elle savait maintenant où il habitait et
elle revint souvent, le soir et la nuit. Elle s'avançait dans l'eau
bien plus près du rivage qu'aucune de ses surs n'avait osé le faire,
oui, elle entra même dans l'étroit canal passant sous le balcon de
marbre qui jetait une longue ombre sur l'eau et là elle restait à
regarder le jeune prince qui se croyait seul au clair de lune. Bien
des nuits, lorsque les pêcheurs étaient en mer avec leurs torches, elle
les entendit dire du bien du jeune prince, elle se réjouissait de lui
avoir sauvé la vie lorsqu'il roulait à demi mort dans les vagues. Elle
songeait au poids de sa tête sur sa jeune poitrine et de quels fervents
baisers elle l'avait couvert. Lui ne savait rien de tout cela, il ne
pouvait même pas rêver d'elle. De plus en plus elle en venait à
chérir les humains, de plus en plus elle désirait pouvoir monter parmi
eux, leur monde, pensait-elle, était bien plus vaste que le sien. Ne
pouvaient-ils pas sur leurs bateaux sillonner les mers, escalader les
montagnes bien au-dessus des nuages et les pays qu'ils possédaient ne
s'étendaient-ils pas en forêts et champs bien au-delà de ce que ses
yeux pouvaient saisir ? Elle voulait savoir tant de choses pour
lesquelles ses surs n'avaient pas toujours de réponses, c'est pourquoi
elle interrogea sa vieille grand-mère, bien informée sur le monde d'en
haut, comme elle appelait fort justement les pays au-dessus de la mer. -
Si les hommes ne se noient pas, demandait la petite sirène, peuvent-ils
vivre toujours et ne meurent-ils pas comme nous autres ici au fond de
la mer ? - Si, dit la vieille, il leur faut mourir aussi et la
durée de leur vie est même plus courte que la nôtre. Nous pouvons
atteindre trois cents ans, mais lorsque nous cessons d'exister ici nous
devenons écume sur les flots, sans même une tombe parmi ceux que nous
aimons. Nous n'avons pas d'âme immortelle, nous ne reprenons jamais
vie, pareils au roseau vert qui, une fois coupé, ne reverdit jamais. Les
hommes au contraire ont une âme qui vit éternellement, qui vit lorsque
leur corps est retourné en poussière. Elle s'élève dans l'air limpide
jusqu'aux étoiles scintillantes. De même que nous émergeons de la
mer pour voir les pays des hommes, ils montent vers des pays inconnus
et pleins de délices que nous ne pourrons voir jamais. - Pourquoi
n'avons-nous pas une âme éternelle ? dit la petite, attristée ; je
donnerais les centaines d'années que j'ai à vivre pour devenir un seul
jour un être humain et avoir part ensuite au monde céleste ! - Ne pense pas à tout cela, dit la vieille, nous vivons beaucoup mieux et sommes bien plus heureux que les hommes là-haut. -
Donc, il faudra que je meure et flotte comme écume sur la mer et
n'entende jamais plus la musique des vagues, ne voit plus les fleurs
ravissantes et le rouge soleil. Ne puis-je rien faire pour gagner une
vie éternelle ? - Non, dit la vieille, à moins que tu sois si
chère à un homme que tu sois pour lui plus que père et mère, qu'il
s'attache à toi de toutes ses pensées, de tout son amour, qu'il fasse
par un prêtre mettre sa main droite dans la tienne en te promettant
fidélité ici-bas et dans l'éternité. Alors son âme glisserait dans ton
corps et tu aurais part au bonheur humain. Il te donnerait une âme et
conserverait la sienne. Mais cela ne peut jamais arriver. Ce qui est
ravissant ici dans la mer, ta queue de poisson, il la trouve très laide
là-haut sur la terre. Ils n'y entendent rien, pour être beau, il leur
faut avoir deux grossières colonnes qu'ils appellent des jambes. La petite sirène soupira et considéra sa queue de poisson avec désespoir. -
Allons, un peu de gaieté, dit la vieille, nous avons trois cents ans
pour sauter et danser, c'est un bon laps de temps. Ce soir il y a bal à
la cour. Il sera toujours temps de sombrer dans le néant. Ce bal
fut, il est vrai, splendide, comme on n'en peut jamais voir sur la
terre. Les murs et le plafond, dans la grande salle, étaient d'un verre
épais, mais clair. Plusieurs centaines de coquilles roses et vert pré
étaient rangées de chaque côté et jetaient une intense clarté de feu
bleue qui illuminait toute la salle et brillait à travers les murs de
sorte que la mer, au-dehors, en était tout illuminée. Les poissons
innombrables, grands et petits, nageaient contre les murs de verre,
luisants d'écailles pourpre ou étincelants comme l'argent et l'or. Au
travers de la salle coulait un large fleuve sur lequel dansaient
tritons et sirènes au son de leur propre chant délicieux. La voix de la
petite sirène était la plus jolie de toutes, on l'applaudissait et son
cur en fut un instant éclairé de joie car elle savait qu'elle avait la
plus belle voix sur terre et sous l'onde. Mais très vite elle se
reprit à penser au monde au-dessus d'elle, elle ne pouvait oublier le
beau prince ni son propre chagrin de ne pas avoir comme lui une âme
immortelle. C'est pourquoi elle se glissa hors du château de son père
et, tandis que là tout était chants et gaieté, elle s'assit,
désespérée, dans son petit jardin. Soudain elle entendit le son d'un
cor venant vers elle à travers l'eau. - Il s'embarque sans doute
là-haut maintenant, celui que j'aime plus que père et mère, celui vers
lequel vont toutes mes pensées et dans la main de qui je mettrais tout
le bonheur de ma vie. J'oserais tout pour les gagner, lui et une âme
immortelle. Pendant que mes surs dansent dans le château de mon père,
j'irai chez la sorcière marine, elle m'a toujours fait si peur, mais
peut-être pourra-t-elle me conseiller et m'aider! Alors la petite
sirène sortit de son jardin et nagea vers les tourbillons mugissants
derrière lesquels habitait la sorcière. Elle n'avait jamais été de ce
côté où ne poussait aucune fleur, aucune herbe marine, il n'y avait là
rien qu'un fond de sable gris et nu s'étendant jusqu'au gouffre. L'eau
y bruissait comme une roue de moulin, tourbillonnait et arrachait tout
ce qu'elle pouvait atteindre et l'entraînait vers l'abîme. Il fallait à
la petite traverser tous ces terribles tourbillons pour arriver au
quartier où habitait la sorcière, et sur un long trajet il fallait
passer au-dessus de vases chaudes et bouillonnantes que la sorcière
appelait sa tourbière. Au-delà s'élevait sa maison au milieu d'une
étrange forêt. Les arbres et les buissons étaient des polypes,
mi-animaux mi-plantes, ils avaient l'air de serpents aux centaines de
têtes sorties de terre. Toutes les branches étaient des bras, longs et
visqueux, aux doigts souples comme des vers et leurs anneaux remuaient
de la racine à la pointe. Ils s'enroulaient autour de tout ce qu'ils
pouvaient saisir dans la mer et ne lâchaient jamais prise. Debout
dans la forêt la petite sirène s'arrêta tout effrayée, son cur battait
d'angoisse et elle fut sur le point de s'en retourner, mais elle pensa
au prince, à l'âme humaine et elle reprit courage. Elle enroula, bien
serrés autour de sa tête, ses longs cheveux flottants pour ne pas
donner prise aux polypes, croisa ses mains sur sa poitrine et s'élança
comme le poisson peut voler à travers l'eau, au milieu des hideux
polypes qui étendaient vers elle leurs bras et leurs doigts. Elle
arriva dans la forêt à un espace visqueux où s'ébattaient de grandes
couleuvres d'eau montrant des ventres jaunâtres, affreux et gras. Au
milieu de cette place s'élevait une maison construite en ossements
humains. La sorcière y était assise et donnait à manger à un crapaud
sur ses lèvres, comme on donne du sucre à un canari. - Je sais
bien ce que tu veux, dit la sorcière, et c'est bien bête de ta part !
Mais ta volonté sera faite car elle t'apportera le malheur, ma
charmante princesse. Tu voudrais te débarrasser de ta queue de poisson
et avoir à sa place deux moignons pour marcher comme le font les hommes
afin que le jeune prince s'éprenne de toi, que tu puisses l'avoir, en
même temps qu'une âme immortelle. A cet instant, la sorcière éclata
d'un rire si bruyant et si hideux que le crapaud et les couleuvres
tombèrent à terre et grouillèrent. - Tu viens juste au bon moment,
ajouta-t-elle, demain matin, au lever du soleil, je n'aurais plus pu
t'aider avant une année entière. Je vais te préparer un breuvage avec
lequel tu nageras, avant le lever du jour, jusqu'à la côte et là,
assise sur la grève, tu le boiras. Alors ta queue se divisera et se
rétrécira jusqu'à devenir ce que les hommes appellent deux jolies
jambes, mais cela fait mal, tu souffriras comme si la lame d'une épée
te traversait. Tous, en te voyant, diront que tu es la plus ravissante
enfant des hommes qu'ils aient jamais vue. Tu garderas ta démarche
ailée, nulle danseuse n'aura ta légèreté, mais chaque pas que tu feras
sera comme si tu marchais sur un couteau effilé qui ferait couler ton
sang. Si tu veux souffrir tout cela, je t'aiderai. - Oui, dit la petite sirène d'une voix tremblante en pensant au prince et à son âme immortelle. -
Mais n'oublie pas, dit la sorcière, que lorsque tu auras une apparence
humaine, tu ne pourras jamais redevenir sirène, jamais redescendre
auprès de tes surs dans le palais de ton père. Et si tu ne gagnes pas
l'amour du prince au point qu'il oublie pour toi son père et sa mère,
qu'il s'attache à toi de toutes ses pensées et demande au pasteur
d'unir vos mains afin que vous soyez mari et femme, alors tu n'auras
jamais une âme immortelle. Le lendemain matin du jour où il en
épouserait une autre, ton cur se briserait et tu ne serais plus
qu'écume sur la mer. - Je le veux, dit la petite sirène, pâle comme une morte. -
Mais moi, il faut aussi me payer, dit la sorcière, et ce n'est pas peu
de chose que je te demande. Tu as la plus jolie voix de toutes ici-bas
et tu crois sans doute grâce à elle ensorceler ton prince, mais cette
voix, il faut me la donner. Le meilleur de ce que tu possèdes, il me le
faut pour mon précieux breuvage ! Moi, j'y mets de mon sang afin qu'il
soit coupant comme une lame à deux tranchants. - Mais si tu prends ma voix, dit la petite sirène, que me restera-t-il ? -
Ta forme ravissante, ta démarche ailée et le langage de tes yeux, c'est
assez pour séduire un cur d'homme. Allons, as-tu déjà perdu courage ?
Tends ta jolie langue, afin que je la coupe pour me payer et je te
donnerai le philtre tout puissant. - Qu'il en soit ainsi, dit la petite sirène, et la sorcière mit son chaudron sur le feu pour faire cuire la drogue magique. - La propreté est une bonne chose, dit-elle en récurant le chaudron avec les couleuvres dont elle avait fait un nud. Elle
s'égratigna le sein et laissa couler son sang épais et noir. La vapeur
s'élevait en silhouettes étranges, terrifiantes. A chaque instant la
sorcière jetait quelque chose dans le chaudron et la mixture se mit à
bouillir, on eût cru entendre pleurer un crocodile. Enfin le philtre
fut à point, il était clair comme l'eau la plus pure ! - Voilà,
dit la sorcière et elle coupa la langue de la petite sirène. Muette,
elle ne pourrait jamais plus ni chanter, ni parler. - Si les
polypes essayent de t'agripper, lorsque tu retourneras à travers la
forêt, jette une seule goutte de ce breuvage sur eux et leurs bras et
leurs doigts se briseront en mille morceaux. La petite sirène
n'eut pas à le faire, les polypes reculaient effrayés en voyant le
philtre lumineux qui brillait dans sa main comme une étoile. Elle
traversa rapidement la forêt, le marais et le courant mugissant. Elle
était devant le palais de son père. Les lumières étaient éteintes dans
la grande salle de bal, tout le monde dormait sûrement, et elle n'osa
pas aller auprès des siens maintenant qu'elle était muette et allait
les quitter pour toujours. Il lui sembla que son cur se brisait de
chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit une fleur du parterre
de chacune de ses surs, envoya de ses doigts mille baisers au palais
et monta à travers l'eau sombre et bleue de la mer. Le soleil n'était
pas encore levé lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les
degrés du magnifique escalier de marbre. La lune brillait
merveilleusement claire. La petite sirène but l'âpre et brûlante
mixture, ce fut comme si une épée à deux tranchants fendait son tendre
corps, elle s'évanouit et resta étendue comme morte. Lorsque le soleil
resplendit au-dessus des flots, elle revint à elle et ressentit une
douleur aiguë. Mais devant elle, debout, se tenait le jeune prince, ses
yeux noirs fixés si intensément sur elle qu'elle en baissa les siens et
vit qu'à la place de sa queue de poisson disparue, elle avait les plus
jolies jambes blanches qu'une jeune fille pût avoir. Et comme elle
était tout à fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure. Le
prince demanda qui elle était, comment elle était venue là, et elle
leva vers lui doucement, mais tristement, ses grands yeux bleus puis
qu'elle ne pouvait parler. Alors il la prit par la main et la
conduisit au palais. A chaque pas, comme la sorcière l'en avait
prévenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des
couteaux aiguisés, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main
du prince, elle montait aussi légère qu'une bulle et lui-même et tous
les assistants s'émerveillèrent de sa démarche gracieuse et ondulante. On
lui fit revêtir les plus précieux vêtements de soie et de mousseline,
elle était au château la plus belle, mais elle restait muette. Des
esclaves ravissantes, parées de soie et d'or, venaient chanter devant
le prince et ses royaux parents. L'une d'elles avait une voix plus
belle encore que les autres. Le prince l'applaudissait et lui souriait,
alors une tristesse envahit la petite sirène, elle savait qu'elle-même
aurait chanté encore plus merveilleusement et elle pensait : « Oh! si
seulement il savait que pour rester près de lui, j'ai renoncé à ma voix
à tout jamais ! » Puis les esclaves commencèrent à exécuter au son
d'une musique admirable, des danses légères et gracieuses. Alors la
petite sirène, élevant ses beaux bras blancs, se dressa sur la pointe
des pieds et dansa avec plus de grâce qu'aucune autre. Chaque mouvement
révélait davantage le charme de tout son être et ses yeux s'adressaient
au cur plus profondément que le chant des esclaves. Tous en étaient enchantés et surtout le prince qui l'appelait sa petite enfant trouvée. Elle
continuait à danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le
sol, C'était comme si elle avait marché sur des couteaux aiguisés. Le
prince voulut l'avoir toujours auprès de lui, il lui permit de dormir
devant sa porte sur un coussin de velours. Il lui fit faire un
habit d'homme pour qu'elle pût le suivre à cheval. Ils chevauchaient à
travers les bois embaumés où les branches vertes lui battaient les
épaules, et les petits oiseaux chantaient dans le frais feuillage. Elle
grimpa avec le prince sur les hautes montagnes et quand ses pieds si
délicats saignaient et que les autres s'en apercevaient, elle riait et
le suivait là- haut d'où ils admiraient les nuages défilant au-dessous
d'eux comme un vol d'oiseau migrateur partant vers des cieux lointains.
La nuit, au château du prince, lorsque les autres dormaient, elle
sortait sur le large escalier de marbre et, debout dans l'eau froide,
elle rafraîchissait ses pieds brûlants. Et puis, elle pensait aux
siens, en bas, au fond de la mer. Une nuit elle vit ses surs qui
nageaient enlacées, elles chantaient tristement et elle leur fit signe.
Ses surs la reconnurent et lui dirent combien elle avait fait de peine
à tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite chaque soir, une fois
même la petite sirène aperçut au loin sa vieille grand-mère qui depuis
bien des années n'était montée à travers la mer et même le roi, son
père, avec sa couronne sur la tête. Tous deux lui tendaient le bras
mais n'osaient s'approcher au- tant que ses surs. De jour en
jour, elle devenait plus chère au prince ; il l'aimait comme on aime un
gentil enfant tendrement chéri, mais en faire une reine ! Il n'en avait
pas la moindre idée, et c'est sa femme qu'il fallait qu'elle devînt,
sinon elle n'aurait jamais une âme immortelle et, au matin qui suivrait
le jour de ses noces, elle ne serait plus qu'écume sur la mer. -
Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres ? semblaient dire les
yeux de la petite sirène quand il la prenait dans ses bras et baisait
son beau front. - Oui, tu m'es la plus chère, disait le prince,
car ton cur est le meilleur, tu m'est la plus dévouée et tu ressembles
à une jeune fille une fois aperçue, mais que je ne retrouverai sans
doute jamais. J'étais sur un vaisseau qui fit naufrage, les vagues me
jetèrent sur la côte près d'un temple desservi par quelques jeunes
filles ; la plus jeune me trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je
ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer
d'amour en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son
image dans mon âme puisqu'elle appartient au temple. C'est ma bonne
étoile qui t'a envoyée à moi. Nous ne nous quitterons jamais. "
Hélas ! il ne sait pas que c'est moi qui ai sauvé sa vie ! pensait la
petite sirène. Je l'ai porté sur les flots jusqu'à la forêt près de
laquelle s'élève le temple, puis je me cachais derrière l'écume et
regardais si personne ne viendrait. J'ai vu la belle jeune fille qu'il
aime plus que moi. " La petite sirène poussa un profond soupir. Pleurer, elle ne le pouvait pas. -
La jeune fille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour
retourner dans le monde, ils ne se rencontreront plus, moi, je suis
chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je
lui dévouerai ma vie. Mais voilà qu'on commence à murmurer que le
prince va se marier, qu'il épouse la ravissante jeune fille du roi
voisin, que c'est pour cela qu'il arme un vaisseau magnifique ... On
dit que le prince va voyager pour voir les Etats du roi voisin, mais
c'est plutôt pour voir la fille du roi voisin et une grande suite
l'accompagnera ... Mais la petite sirène secoue la tête et rit, elle
connaît les pensées du prince bien mieux que tous les autres. - Je
dois partir en voyage, lui avait-il dit. Je dois voir la belle
princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger à la ramener ici, en
faire mon épouse, cela ils n'y réussiront pas, je ne peux pas l'aimer
d'amour, elle ne ressemble pas comme toi à la belle jeune fille du
temple. Si je devais un jour choisir une épouse ce serait plutôt toi,
mon enfant trouvée qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent. Et
il baisait ses lèvres rouges, jouait avec ses longs cheveux et posait
sa tête sur son cur qui se mettait à rêver de bonheur humain et d'une
âme immortelle. - Toi, tu n'as sûrement pas peur de la mer, ma
petite muette chérie ! lui dit-il lorsqu'ils montèrent à bord du
vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi voisin. Il
lui parlait de la mer tempétueuse et de la mer calme, des étranges
poissons des grandes profondeurs et de ce que les plongeurs y avaient
vu. Elle souriait de ce qu'il racontait, ne connaissait-elle pas mieux
que quiconque le fond de l'océan? Dans la nuit, au clair de lune, alors
que tous dormaient à bord, sauf le marin au gouvernail, debout près du
bastingage elle scrutait l'eau limpide, il lui semblait voir le château
de son père et, dans les combles, sa vieille grand- mère, couronne
d'argent sur la tête, cherchant des yeux à travers les courants la
quille du bateau. Puis ses surs arrivèrent à la surface, la regardant
tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur
sourit, voulut leur dire que tout allait bien, qu'elle était heureuse,
mais un mousse s'approchant, les surs replongèrent et le garçon
demeura persuadé que cette blancheur aperçue n'était qu'écume sur
l'eau. Le lendemain matin le vaisseau fit son entrée dans le port
splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches des églises
sonnaient, du haut des tours on soufflait dans les trompettes tandis
que les soldats sous les drapeaux flottants présentaient les armes. Chaque
jour il y eut fête; bals et réceptions se succédaient mais la princesse
ne paraissait pas encore. On disait qu'elle était élevée au loin, dans
un couvent où lui étaient enseignées toutes les vertus royales. Elle vint, enfin ! La
petite sirène était fort impatiente de juger de sa beauté. Il lui
fallut reconnaître qu'elle n'avait jamais vu fille plus gracieuse. Sa
peau était douce et pâle et derrière les longs cils deux yeux fidèles,
d'un bleu sombre, souriaient. C'était la jeune fille du temple ... -
C'est toi ! dit le prince, je te retrouve - toi qui m'as sauvé lorsque
je gisais comme mort sur la grève ! Et il serra dans ses bras sa
fiancée rougissante. Oh ! je suis trop heureux, dit-il à la petite
sirène. Voilà que se réalise ce que je n'eusse jamais osé espérer. Toi
qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te réjouiras de mon bonheur. La
petite sirène lui baisait les mains, mais elle sentait son cur se
briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui suivrait les noces ?
Mourir et n'être plus qu'écume sur la mer ! Des hérauts
parcouraient les rues à cheval proclamant les fiançailles. Bientôt
toutes les cloches des églises sonnèrent, sur tous les autels des
huiles parfumées brûlaient dans de précieux vases d'argent, les prêtres
balancèrent les encensoirs et les époux se tendirent la main et
reçurent la bénédiction de l'évêque. La petite sirène, vêtue de
soie et d'or, tenait la traîne de la mariée mais elle n'entendait pas
la musique sacrée, ses yeux ne voyaient pas la cérémonie sainte, elle
pensait à la nuit de sa mort, à tout ce qu'elle avait perdu en ce
monde. Le soir même les époux s'embarquèrent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants. Au
milieu du pont, une tente d'or et de pourpre avait été dressée, garnie
de coussins moelleux où les époux reposeraient dans le calme et la
fraîcheur de la nuit. Les voiles se gonflèrent au vent et le
bateau glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer
limpide. La nuit venue on alluma des lumières de toutes les couleurs et
les marins se mirent à danser. La petite sirène pensait au soir
où, pour la première fois, elle avait émergé de la mer et avait aperçu
le même faste et la même joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la
danse, ondulant comme ondule un cygne pourchassé et tout le monde
l'acclamait et l'admirait : elle n'avait jamais dansé si divinement. Si
des lames aiguës transperçaient ses pieds délicats, elle ne les sentait
même pas, son cur était meurtri d'une bien plus grande douleur. Elle
savait qu'elle le voyait pour la dernière fois, lui, pour lequel elle
avait abandonné les siens et son foyer, perdu sa voix exquise et
souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'il en eût
connaissance. C'était la dernière nuit où elle respirait le même air
que lui, la dernière fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde,
ce ciel plein d'étoiles. La nuit éternelle, sans pensée et sans rêve, l'attendait, elle qui n'avait pas d'âme et n'en pouvait espérer. Sur
le navire tout fut plaisir et réjouissance jusque bien avant dans la
nuit. Elle dansait et riait mais la pensée de la mort était dans son
cur. Le prince embrassait son exquise épouse qui caressait les cheveux
noirs de son époux, puis la tenant à son bras il l'amena se reposer
sous la tente splendide. Alors, tout fut silence et calme sur le
navire. Seul veillait l'homme à la barre. La petite sirène appuya ses
bras sur le bastingage et chercha à l'orient la première lueur rose de
l'aurore, le premier rayon du soleil qui allait la tuer. Soudain
elle vit ses surs apparaître au-dessus de la mer. Elles étaient pâles
comme elle-même, leurs longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les
avait coupés. - Nous les avons sacrifiés chez la sorcière pour
qu'elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle nous a
donné un couteau. Le voici. Regarde comme il est aiguisé ... Avant que
le jour ne se lève, il faut que tu le plonges dans le cur du prince et
lorsque son sang tout chaud tombera sur tes pieds, ils se réuniront en
une queue de poisson et tu redeviendras sirène. Tu pourras descendre
sous l'eau jusque chez nous et vivre trois cents ans avant de devenir
un peu d'écume salée. Hâte-toi ! L'un de vous deux doit mourir avant
l'aurore. Notre vieille grand-mère a tant de chagrin qu'elle a, comme
nous, laissé couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorcière.
Tue le prince, et reviens-nous. Hâte-toi ! Ne vois-tu pas déjà cette
traînée rose à l'horizon ? Dans quelques minutes le soleil se lèvera et
il te faudra mourir. Un soupir étrange monta à leurs lèvres et
elles s'enfoncèrent dans les vagues. La petite sirène écarta le rideau
de pourpre de la tente, elle vit la douce épousée dormant la tête
appuyée sur l'épaule du prince. Alors elle se pencha et posa un baiser
sur le beau front du jeune homme. Son regard chercha le ciel de plus en
plus envahi par l'aurore, puis le poignard pointu, puis à nouveau le
prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le nom de son épouse qui
occupait seule ses pensées, et le couteau trembla dans sa main. Alors,
tout à coup, elle le lança au loin dans les vagues qui rougirent à
l'endroit où il toucha les flots comme si des gouttes de sang
jaillissaient à la surface. Une dernière fois, les yeux voilés, elle
contempla le prince et se jeta dans la mer où elle sentit son corps se
dissoudre en écume. Maintenant le soleil surgissait
majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur
l'écume glacée et la petite sirène ne sentait pas la mort. Elle voyait
le clair soleil et, au-dessus d'elle, planaient des centaines de
charmants êtres transparents. A travers eux, elle apercevait les voiles
blanches du navire, les nuages roses du ciel, leurs voix étaient
mélodieuses, mais si immatérielles qu'aucune oreille terrestre ne
pouvait les capter, pas plus qu'aucun regard humain ne pouvait les
voir. Sans ailes, elles flottaient par leur seule légèreté à travers
l'espace. La petite sirène sentit qu'elle avait un corps comme le leur,
qui s'élevait de plus en plus haut au-dessus de l'écume. - Où
vais-je ? demanda-t-elle. Et sa voix, comme celle des autres êtres,
était si immatérielle qu'aucune musique humaine ne peut l'exprimer. -
Chez les filles de l'air, répondirent-elles. Une sirène n'a pas d'âme
immortelle, ne peut jamais en avoir, à moins de gagner l'amour d'un
homme. C'est d'une volonté étrangère que dépend son existence
éternelle. Les filles de l'air n'ont pas non plus d'âme immortelle,
mais elles peuvent, par leurs bonnes actions, s'en créer une. Nous nous
envolons vers les pays chauds où les effluves de la peste tuent les
hommes, nous y soufflons la fraîcheur. Nous répandons le parfum des
fleurs dans l'atmosphère et leur arôme porte le réconfort et la
guérison. Lorsque durant trois cents ans nous nous sommes efforcées de
faire le bien, tout le bien que nous pouvons, nous obtenons une âme
immortelle et prenons part à l'éternelle félicité des hommes. Toi,
pauvre petite sirène, tu as de tout cur cherché le bien comme nous, tu
as souffert et supporté de souffrir, tu t'es haussée jusqu'au monde des
esprits de l'air, maintenant tu peux toi-même, par tes bonnes actions,
te créer une âme immortelle dans trois cents ans.Alors, la petite
sirène leva ses bras transparents vers le soleil de Dieu et, pour la
première fois, des larmes montèrent à ses yeux. Sur le bateau, la
vie et le bruit avaient repris, elle vit le prince et sa belle épouse
la chercher de tous côtés, elle les vit fixer tristement leurs regards
sur l'écume dansante , comme s'ils avaient deviné qu'elle s'était
précipitée dans les vagues. Invisible elle baisa le front de l'époux,
lui sourit et avec les autres filles de l'air elle monta vers les
nuages roses qui voguaient dans l'air. - Dans trois cents ans, nous entrerons ainsi au royaume de Dieu. -
Nous pouvons même y entrer avant, murmura l'une d'elles. Invisibles
nous pénétrons dans les maisons des hommes où il y a des enfants et,
chaque fois que nous trouvons un enfant sage, qui donne de la joie à
ses parents et mérite leur amour, Dieu raccourcit notre temps
d'épreuve. Lorsque nous voltigeons à travers la chambre et que de
bonheur nous sourions, l'enfant ne sait pas qu'un an nous est soustrait
sur les trois cents, mais si nous trouvons un enfant cruel et méchant,
il nous faut pleurer de chagrin et chaque larme ajoute une journée à
notre temps d'épreuve.
Hans Christian Andersen
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Par
Plumes1 dans
Contes célèbres le
18 Août 2007 à 18:27
A l'orée d'une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et
ses deux enfants. Le garçon s'appelait Hansel et la fille Grethel. La
famille ne mangeait guère. Une année que la famine régnait dans le pays
et que le pain lui-même vint à manquer, le bûcheron ruminait des idées
noires, une nuit, dans son lit et remâchait ses soucis. Il dit à sa
femme - Qu'allons-nous devenir ? Comment nourrir nos pauvres enfants,
quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes ? - Eh bien, mon homme,
dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès l'aube, nous
conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur allumerons
un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous
irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus
leur chemin et nous en serons débarrassés. - Non, femme, dit le
bûcheron. je ne ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à
laisser nos enfants tout seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne
tarderaient pas à les dévorer. - Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères
donc que nous mourions de faim tous les quatre ? Alors, il ne te reste
qu'à raboter les planches de nos cercueils. Elle n'eut de cesse qu'il
n'acceptât ce qu'elle proposait. - Mais j'ai quand même pitié de ces
pauvres enfants, dit le bûcheron. Les deux petits n'avaient pas pu
s'endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la marâtre
disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère
: - C'en est fait de nous - Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t'en fais
pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer. Quand les parents furent
endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se
glissa dehors. La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs,
devant la maison, étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et
en mit dans ses poches autant qu'il put. Puis il rentra dans la maison
et dit à Grethel : - Aie confiance, chère petite sur, et dors
tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas. Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne se levât, la femme
réveilla les deux enfants : - Debout, paresseux ! Nous allons aller
dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau de
pain à chacun et dit : - Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas
tout avant, car vous n'aurez rien d'autre. Comme les poches de Hansel
étaient pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier.
Puis, ils se mirent tous en route pour la forêt. Au bout de quelque
temps, Hansel s'arrêta et regarda en direction de la maison. Et sans
cesse, il répétait ce geste. Le père dit : - Que regardes-tu, Hansel,
et pourquoi restes-tu toujours en arrière ? Fais attention à toi et
n'oublie pas de marcher ! - Ah ! père dit Hansel, Je regarde mon petit
chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je lui dis au revoir.
La femme dit : - Fou que tu es ! ce n'est pas le chaton, c'est un
reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, en réalité, n'avait pas vu le
chat. Mais, à chaque arrêt, il prenait un caillou blanc dans sa poche
et le jetait sur le chemin. Quand ils furent arrivés au milieu de la
forêt, le père dit : - Maintenant, les enfants, ramassez du bois ! je
vais allumer un feu pour que vous n'ayez pas froid. Hansel et Grethel
amassèrent des brindilles au sommet d'une petite colline. Quand on y
eut mit le feu et qu'il eut bien pris, la femme dit : - Couchez-vous
auprès de lui, les enfants, et reposez-vous. Nous allons abattre du
bois. Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous chercher. Hansel et
Grethel s'assirent auprès du feu et quand vint l'heure du déjeuner, ils
mangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des coups de
hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais ce n'était pas
la hache. C'était une branche que le bûcheron avait attachée à un arbre
mort et que le vent faisait battre de-ci, de-là. Comme ils étaient
assis là depuis des heures, les yeux finirent par leur tomber de
fatigue et ils s'endormirent. Quand ils se réveillèrent, il faisait
nuit noire. Grethel se mit à pleurer et dit : - Comment ferons-nous
pour sortir de la forêt ? Hansel la consola - Attends encore un peu,
dit-il, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons
notre chemin. Quand la pleine lune brilla dans le ciel, il prit sa sur
par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ils étincelaient
comme des écus frais battus et indiquaient le chemin. Les enfants
marchèrent toute la nuit et, quand le jour se leva, ils atteignirent la
maison paternelle. Ils frappèrent à la porte. Lorsque la femme eut
ouvert et quand elle vit que c'étaient Hansel et Grethel, elle dit : -
Méchants enfants ! pourquoi avez-vous dormi si longtemps dans la forêt
? Nous pensions que vous ne reviendriez jamais. Leur père, lui, se
réjouit, car il avait le cur lourd de les avoir laissés seuls dans la
forêt. Peu de temps après, la misère régna de plus belle et les enfants
entendirent ce que la marâtre disait, pendant la nuit, à son mari : -
Il ne nous reste plus rien à manger, une demi-miche seulement, et
après, finie la chanson ! Il faut nous débarrasser des enfants ; nous
les conduirons encore plus profond dans la forêt pour qu'ils ne
puissent plus retrouver leur chemin ; il n'y a rien d'autre à faire. Le
père avait bien du chagrin. Il songeait - " Il vaudrait mieux partager
la dernière bouchée avec les enfants. " Mais la femme ne voulut n'en
entendre. Elle le gourmanda et lui fit mille reproches. Qui a dit " A "
doit dire " B. "Comme il avait accepté une première fois, il dut
consentir derechef. Les enfants n'étaient pas encore endormis. Ils
avaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans le sommeil,
Hansel se leva avec l'intention d'aller ramasser des cailloux comme la
fois précédente. Mais la marâtre avait verrouillé la porte et le garçon
ne put sortir. Il consola cependant sa petite sur : - Ne pleure pas,
Grethel, dors tranquille ; le bon Dieu nous aidera. Tôt le matin, la
marâtre fit lever les enfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus
petit encore que l'autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel
l'émietta dans sa poche ; il s'arrêtait souvent pour en jeter un peu
sur le sol. - Hansel, qu'as-tu à t'arrêter et à regarder autour de toi
? dit le père. Va ton chemin ! - Je regarde ma petite colombe, sur le
toit, pour lui dire au revoir ! répondit Hansel. - Fou ! dit la femme.
Ce n'est pas la colombe, c'est le soleil qui se joue sur la cheminée.
Hansel, cependant, continuait à semer des miettes de pain le long du
chemin. La marâtre conduisit les enfants au fin fond de la forêt, plus
loin qu'ils n'étaient jamais allés. On y refit un grand feu et la femme
dit : - Restez là, les enfants. Quand vous serez fatigués, vous pourrez
dormir un peu nous allons couper du bois et, ce soir, quand nous aurons
fini, nous viendrons vous chercher. À midi, Grethel partagea son pain
avec Hansel qui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils
dormirent et la soirée passa sans que personne ne revînt auprès d'eux.
Ils s'éveillèrent au milieu de la nuit, et Hansel consola sa petite
sur, disant : - Attends que la lune se lève, Grethel, nous verrons les
miettes de pain que j'ai jetées ; elles nous montreront le chemin de la
maison. Quand la lune se leva, ils se mirent en route. Mais de miettes,
point. Les mille oiseaux des champs et des bois les avaient mangées.
Les deux enfants marchèrent toute la nuit et le jour suivant, sans
trouver à sortir de la forêt. Ils mouraient de faim, n'ayant à se
mettre sous la dent que quelques baies sauvages. Ils étaient si
fatigués que leurs jambes ne voulaient plus les porter. Ils se
couchèrent au pied d'un arbre et s'endormirent. Trois jours s'étaient
déjà passés depuis qu'ils avaient quitté la maison paternelle. Ils
continuaient à marcher, s'enfonçant toujours plus avant dans la forêt.
Si personne n'allait venir à leur aide, ils ne tarderaient pas à
mourir. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche, blanc comme
neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour l'écouter.
Quand il eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le
suivirent jusqu'à une petite maison sur le toit de laquelle le bel
oiseau blanc se percha. Quand ils s'en furent approchés tout près, ils
virent qu'elle était faite de pain et recouverte de gâteaux. Les
fenêtres étaient en sucre. - Nous allons nous mettre au travail, dit
Hansel, et faire un repas béni de Dieu. Je mangerai un morceau du toit
; ça a l'air d'être bon ! Hansel grimpa sur le toit et en arracha un
petit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les carreaux. On
entendit alors une voix suave qui venait de la chambre - Langue, langue
lèche ! Qui donc ma maison lèche ? Les enfants répondirent - C'est le
vent, c'est le vent. Ce céleste enfant. Et ils continuèrent à manger
sans se laisser détourner de leur tâche. Hansel, qui trouvait le toit
fort bon, en fit tomber un gros morceau par terre et Grethel découpa
une vitre entière, s'assit sur le sol et se mit à manger. La porte,
tout à coup, s'ouvrit et une femme, vieille comme les pierres,
s'appuyant sur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent
si peur qu'ils laissèrent tomber tout ce qu'ils tenaient dans leurs
mains. La vieille secoua la tête et dit : - Eh ! chers enfants, qui
vous a conduits ici ? Entrez, venez chez moi ! Il ne vous sera fait
aucun mal. Elle les prit tous deux par la main et les fit entrer dans
la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du lait et des beignets
avec du sucre, des pommes et des noix. Elle prépara ensuite deux petits
lits. Hansel et Grethel s'y couchèrent. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié de la vieille n'était qu'apparente. En réalité, c'était
une méchante sorcière à l'affût des enfants. Elle n'avait construit la
maison de pain que pour les attirer. Quand elle en prenait un, elle le
tuait, le faisait cuire et le mangeait. Pour elle, c'était alors jour
de fête. La sorcière avait les yeux rouges et elle ne voyait pas très
clair. Mais elle avait un instinct très sûr, comme les bêtes, et
sentait venir de loin les êtres humains. Quand Hansel et Grethel
s'étaient approchés de sa demeure, elle avait ri méchamment et dit
d'une voix mielleuse : - Ceux-là, je les tiens ! Il ne faudra pas
qu'ils m'échappent ! À l'aube, avant que les enfants ne se soient
éveillés, elle se leva. Quand elle les vit qui reposaient si gentiment,
avec leurs bonnes joues toutes roses, elle murmura : - Quel bon repas
je vais faire ! Elle attrapa Hansel de sa main rêche, le conduisit dans
une petite étable et l'y enferma au verrou. Il eut beau crier, cela ne
lui servit à rien. La sorcière s'approcha ensuite de Grethel, la secoua
pour la réveiller et s'écria : - Debout, paresseuse ! Va chercher de
l'eau et prépare quelque chose de bon à manger pour ton frère. Il est
enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse. Quand il sera à point,
je le mangerai. Grethel se mit à pleurer, mais cela ne lui servit à
rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait l'ogresse. On
prépara pour le pauvre Hansel les plats les plus délicats. Grethel,
elle, n'eut droit qu'à des carapaces de crabes. Tous les matins, la
vieille se glissait jusqu'à l'écurie et disait : - Hansel, tends tes
doigts, que je voie si tu es déjà assez gras. Mais Hansel tendait un
petit os et la sorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s'en rendait pas
compte. Elle croyait que c'était vraiment le doigt de Hansel et
s'étonnait qu'il n'engraissât point. Quand quatre semaines furent
passées, et que l'enfant était toujours aussi maigre, elle perdit
patience et décida de ne pas attendre plus longtemps. - Holà ! Grethel,
cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit gras ou
maigre, c'est demain que je le tuerai et le mangerai. Ah, comme elle
pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les
larmes coulaient le long de ses joues ! - Dieu bon, aide-nous donc !
s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient dévorés
! Au moins serions-nous morts ensemble ! - Cesse de te lamenter ! dit
la vieille ; ça ne te servira à rien ! De bon matin, Grethel fut
chargée de remplir la grande marmite d'eau et d'allumer le feu. - Nous
allons d'abord faire la pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer
le four et préparé ce qu'il faut. Elle poussa la pauvre Grethel vers le
four, d'où sortaient de grandes flammes. - Faufile-toi dedans !
ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la cuisson. Elle
avait l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour la
faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Grethel devina
son projet et dit : - Je ne sais comment faire , comment entre-t-on
dans ce four ? - Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez
grande, vois, je pourrais y entrer moi-même. Et elle y passa la tête.
Alors Grethel la poussa vivement dans le four, claqua la porte et mit
le verrou. La sorcière se mit à hurler épouvantablement. Mais Grethel
s'en alla et cette épouvantable sorcière n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait chez Hansel. Elle
ouvrit la petite étable et dit : - Hansel, nous sommes libres ! La
vieille sorcière est morte ! Hansel bondit hors de sa prison, aussi
rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. Comme ils étaient
heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent
! N'ayant plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la
sorcière. Dans tous les coins, il y avait des caisses pleines de perles
et de diamants. - C'est encore mieux que mes petits cailloux ! dit
Hansel en remplissant ses poches. Et Grethel ajouta - Moi aussi, je
veux en rapporter à la maison ! Et elle en mit tant qu'elle put dans
son tablier. - Maintenant, il nous faut partir, dit Hansel, si nous
voulons fuir cette forêt ensorcelée. Au bout de quelques heures, ils
arrivèrent sur les bords d'une grande rivière. - Nous ne pourrons pas
la traverser, dit Hansel, je ne vois ni passerelle ni pont. - On n'y
voit aucune barque non plus, dit Grethel. Mais voici un canard blanc.
Si Je lui demande, il nous aidera à traverser. Elle cria : - Petit
canard, petit canard, Nous sommes Hansel et Grethel. Il n'y a ni
barque, ni gué, ni pont, Fais-nous passer avant qu'il ne soit tard. Le
petit canard s'approcha et Hansel se mit à califourchon sur son dos. Il
demanda à sa sur de prendre place à côté de lui. - Non, répondit-elle,
ce serait trop lourd pour le canard. Nous traverserons l'un après
l'autre. La bonne petite bête les mena ainsi à bon port. Quand ils
eurent donc passé l'eau sans dommage, ils s'aperçurent au bout de
quelque temps que la forêt leur devenait de plus en plus familière.
Finalement, ils virent au loin la maison de leur père. Ils se mirent à
courir, se ruèrent dans la chambre de leurs parents et sautèrent au cou
de leur père. L'homme n'avait plus eu une seule minute de bonheur
depuis qu'il avait abandonné ses enfants dans la forêt. Sa femme était
morte. Grethel secoua son tablier et les perles et les diamants
roulèrent à travers la chambre. Hansel en sortit d'autres de ses
poches, par poignées. C'en était fini des soucis. Ils vécurent heureux
tous ensemble.Les contes de Grimm
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Plumes1 dans
Contes célèbres le
18 Août 2007 à 18:26
Un pauvre laboureur était assis un soir au coin de son feu, pendant que
sa femme filait à côté de lui. Il disait : « C'est un grand chagrin
pour nous de ne pas avoir d'enfants. Quel silence chez nous, tandis que
chez les autres tout est si gai et si bruyant! Oui, répondit
sa femme en soupirant, dussions-nous n'en avoir qu'un seul, pas plus
gros que le pouce, je m'en contenterais, et nous l'aimerions de tout
notre cur. » La femme, sur ces entrefaites, devint souffrante,
et, au bout de sept mois, elle mit au monde un enfant bien constitué
dans tous ses membres, mais qui n'avait qu'un pouce de haut. Elle dit :
« Le voilà tel que nous l'avons souhaité; il n'en sera pas moins notre
cher fils. » Et à cause de sa taille ses parents le nommèrent Tom
Pouce. Ils le nourrirent aussi bien que possible ; mais il ne grandit
pas et resta tel qu'il avait été à sa naissance. Cependant il
paraissait avoir de l'esprit ; ses yeux étaient intelligents, et il
montra bientôt dans sa petite personne de l'adresse et de l'activité
pour mener à bien ce qu'il entreprenait. Le paysan s'apprêtait
on jour à aller abattre du bois dans la forêt, et il se disait à
lui-même : « Je voudrais bien avoir quelqu'un pour conduire ma
charrette. Père, s'écria Tom Pouce, je vais la conduire, moi; soyez tranquille, elle arrivera à temps. » L'homme se mit à rire : « Cela ne se peut pas, dit-il; tu es bien trop petit pour conduire le cheval par la bride!
Ça ne fait rien, père; si maman veut atteler, je me mettrai dans
l'oreille du cheval, et je lui crierai où il faudra qu'il aille. Eh bien, répondit le père, essayons. »
La mère attela le cheval et mit Tom Pouce dans son oreille; et le petit
homme lui criait le chemin qu'il fallait prendre : « Hue ! dia ! » si
bien que le cheval marcha comme s'il avait eu un vrai charretier; et la
charrette fut menée au bois par la bonne route.Pendant que
l'équipage tournait au coin d'une haie, et que le petit homme criait :
«Dia! dia! » il passa par là deux étrangers. « Grand Dieu ! s'écria
l'un d'eux, qu'est cela? Voilà une charrette qui marche ; on entend la
voix du charretier et on ne voit personne. Il y a quelque chose de louche là-dessous, dit l'autre ; il faut suivre cette charrette et voir où elle s'arrêtera. »
Elle continua sa route et s'arrêta dans la forêt, juste à la place où
il y avait du bois abattu. Quand Tom Pouce aperçut son père, il lui
cria : « Vois-tu, père, que j'ai bien mené la charrette ? Maintenant,
fais-moi descendre. » Le père, saisissant la bride d'une main,
prit de l'autre son fils dans l'oreille du cheval et le déposa par
terre ; le petit s'assit joyeusement sur un fétu. Les deux
étrangers, en apercevant Tom Pouce, ne savaient que penser, tant ils
étaient étonnés. L'un d'eux prit l'autre à part et lui dit : «Ce petit
drôle pourrait faire notre fortune, si nous le faisions voir pour de
l'argent dans quelque ville ; il faut l'acheter. » Ils allèrent trouver
le paysan et lui dirent : « Vendez-nous ce petit nain ; nous en aurons
bien soin. Non, répondit le père; c'est mon enfant, il n'est pas à vendre pour tout l'or du monde. »
Mais Tom Pouce, en entendant la conversation avait grimpé dans les plis
des vêtements de son père ; il lui monta jusque sur l'épaule, et de là
lui souffla dans l'oreille : « Père, livrez-moi à ces gens-là, je serai
bientôt de retour. » Son père le donna donc aux deux hommes pour une
belle pièce d'or. « Où veux-tu te mettre? lui dirent-ils.
Ah ! mettez-moi sur le bord de votre chapeau, je pourrai me promener
et voir le paysage, et j'aurai bien soin de ne pas tomber. » Ils
firent comme il voulait, et quand Tom Pouce eut dit adieu à son père,
ils s'en allèrent avec lui et marchèrent ainsi jusqu'au soir ; alors le
petit homme leur cria : « Arrêtez, j'ai besoin de descendre.
Reste sur mon chapeau, dit l'homme qui le portait; peu m'importe ce que
tu feras, les oiseaux m'en font plus d'une fois autant. Non pas, non pas, dit Tom Pouce ; mettez-moi en bas bien vite. »
L'homme le prit et le posa par terre, dans un champ près de la route;
il courut un instant parmi les mottes de terre, et tout d'un coup il se
plongea dans un trou de souris qu'il avait cherché exprès. « Bonsoir,
messieurs, partez sans moi, » leur cria-t-il en riant. Ils voulurent le
rattraper en fourrageant le trou de souris avec des baguettes, mais ce
fut peine perdue : Tom s'enfonçait toujours plus avant, et la nuit
étant tout à fait venue, ils furent obligés de rentrer chez eux en
colère et les mains vides. Quand ils furent loin, Tom Pouce
sortit de son souterrain. Il craignit de se risquer de nuit en plein
champ, car une jambe est bientôt cassée. Heureusement il rencontra une
coque vide de limaçon. « Dieu soit loué ? dit-il, je passerai ma nuit
en sûreté là dedans ; » et il s'y établit. Comme il allait
s'endormir, il entendit deux hommes qui passaient, et l'un disait à
l'autre : « Comment nous y prendrions-nous pour voler à ce riche curé
tout son or et son argent ? Je vous le dirai bien, leur cria Tom Pouce. Qu'y a-t-il ? s'écria un des voleurs effrayés ; j'ai entendu quelqu'un parler. » Ils restaient à écouter, quand Tom leur cria de nouveau : « Prenez-moi avec vous, je vous aiderai. Où es-tu donc?
Cherchez par terre, du côté d'où vient la voix.» Les voleurs finirent
par le trouver. « Petit extrait d'homme, lui dirent-ils, comment
veux-tu nous être utile? Voyez, répondit-il ; je me glisserai
entre les barreaux de la fenêtre dans la chambre du curé, et je vous
passerai tout ce que vous voudrez. Eh bien, soit, dirent-ils, nous allons te mettre à l'épreuve ! »
Quand ils furent arrivés au presbytère, Tom Pouce se glissa dans la
chambre, puis il se mit à crier de toutes ses forces : « Voulez-vous
tout ce qui est ici? » Les voleurs effrayés lui dirent : « Parle plus
bas, tu vas réveiller la maison. » Mais, faisant comme s'il ne les
avait pas entendus, il cria de nouveau : « Qu'est-ce que vous voulez ?
voulez-vous tout ce qui est ici? » La servante, qui couchait dans la
chambre à côté, entendit ce bruit, elle se leva sur son séant et prêta
l'oreille. Les voleurs avaient battu en retraite ; enfin ils reprirent
courage, et croyant seulement que le petit drôle voulait s'amuser à
leurs dépens, ils revinrent sur leurs pas et lui dirent tout bas : «
Plus de plaisanterie, passe-nous quelque chose. » Alors Tom se mit à
crier encore du haut de sa tête : « Je vais vous donner tout; tendez
les mains. » Cette fois la servante entendit bien clairement;
elle sauta du lit et courut à la porte. Les voleurs voyant cela
s'enfuirent comme si le diable eut été à leurs trousses; la servante,
n'entendant plus rien, alla allumer une chandelle. Quand elle revint,
Tom Pouce, sans être vu, fut se cacher dans le grenier au foin. La
servante, après avoir fureté dans tous les coins sans rien découvrir,
alla se remettre au lit et crut qu'elle avait rêvé. Tom Pouce
était monté dans le foin et s'y était arrangé un joli petit lit : il
comptait s'y reposer jusqu'au jour et ensuite retourner chez ses
parents. Mais il devait subir bien d'autres épreuves encore : tant on a
de mal dans ce monde! La servante se leva dès l'aurore pour donner à
manger au bétail. Sa première visite fut pour le grenier au fourrage,
où elle prit une brassée de foin, avec le pauvre Tom endormi dedans. Il
dormait si fort qu'il ne s'aperçut de rien et ne s'éveilla que dans la
bouche d'une vache, qui l'avait pris avec une poignée de foin. Il se
crut d'abord tombé dans un moulin à foulon, mais il comprit bientôt où
il était réellement. Tout en évitant de se laisser broyer entre les
dents, il finit par glisser dans la gorge et dans la panse.
L'appartement lui semblait étroit, sans fenêtre, et on n'yvoyait ni
soleil ni chandelle. Le séjour lui en déplaisait fort, et ce qui
compliquait encore sa situation, c'est qu'il descendait toujours de
nouveau foin et que l'espace devenait de plus en plus étroit. Enfin,
dans sa terreur, Tom s'écria le plus haut qu'il put : « Plus de
fourrage ! plus de fourrage ! je n'en veux plus ! » La servante
était justement occupée à ce moment à traire la vache ; cette voix,
qu'elle entendait sans voir personne et qu'elle reconnaissait pour
celle qui l'avait déjà éveillée pendant la nuit, l'effraya tellement,
qu'elle se jeta en bas de son tabouret en répandant son lait. Elle alla
en toute hâte trouver son maître et lui cria : « Ah ! grand Dieu !
monsieur le curé, la vache qui parle ! Tu es folle ! » répondit le
prêtre, et cependant il alla lui-même dans l'étable, pour s'assurer de
ce qui s'y passait. A peine y avait-il mis le pied, que Tom
Pouce s'écria de nouveau : « Plus de fourrage ! je n'en veux plus ! »
La frayeur gagna le curé à son tour, et, s'imaginant qu'il y avait un
diable dans le corps de la vache, il dit qu'il fallait la tuer. On
l'abattit, et la panse, dans laquelle le pauvre Tom était prisonnier,
fut jetée sur le fumier. Le petit eut grand'peine à se démêler
de là, et il commençait à passer la tête dehors, quand un nouveau
malheur l'assaillit. Un loup affamé se jeta sur la panse de la vache et
l'avala d'un seul coup. Tom Pouce ne perdit pas courage. « Peut-être,
pensa-t-il, que ce loup sera traitable. » Et de son ventre, où il était
enfermé, il lui cria: « Cher ami loup, je veux t'enseigner un bon repas
à faire. Et où cela ? dit le loup. Dans telle et
telle maison; tu n'as qu'à te glisser par l'égout de la cuisine, tu
trouveras des gâteaux, du lard, des saucisses à bouche que veux-tu. »
Et il lui désigna très-exactement la maison de son père. Le loup
ne se le fit pas dire deux fois; il s'introduisit dans la cuisine et
s'en donna à cur-joie aux dépens des provisions. Mais quand il fut
repu et qu'il fallut sortir, il était tellement gonflé de nourriture,
qu'il ne put venir à bout de repasser par l'égout. Tom, qui avait
compté là-dessus, commença à faire un bruit terrible dans le corps du
loup, en sautant et en criant de toutes ses forces. « Veux-tu te tenir
en repos? dit le loup; tu vas réveiller tout le monde ! Eh
bien! quoi? répondit le petit homme, tu. t'es régalé, je veux m'amuser
aussi, moi. » Et il se remit à crier tant qu'il pouvait. Il
finit par éveiller ses parents, qui accoururent et regardèrent dans la
cuisine à travers la serrure. Quand ils virent qu'il y avait un loup,
ils s'armèrent, l'homme de sa hache et la femme d'une faux. Reste
derrière, dit l'homme à sa femme quand ils entrèrent dans la chambre ;
je vais le frapper de ma hache, et si je ne le tue pas du coup, tu lui
couperas le ventre. » Tom Pouce, qui entendait la voix de son père, se mit à crier : « C'est moi, cher père, je suis dans le ventre du loup.
Dieu merci, dit le père plein de joie, notre cher enfant est retrouvé
!» Et il ordonna à sa femme de mettre la faux de côté pour ne pas
blesser leur fils. Puis, levant sa hache, d'un coup sur la tête il
étendit mort le loup, et ensuite, avec un couteau et des ciseaux, il
lui ouvrit le ventre et en tira le petit Tom. « Ah! dit-il, que nous
avons été inquiets de ton sort ! Oui, père, j'ai beaucoup couru le monde ; heureusement me voici rendu à la lumière. Où as-tu donc été ?
Ah! père, j'ai été dans un trou de souris, dans la panse d'une vache
et dans le ventre d'un loup. Maintenant je reste avec vous. Et
nous ne te revendrions pas pour tout l'or du monde ! » dirent ses
parents en l'embrassant et en le serrant contre leur cur. Ils lui donnèrent à manger et lui firent faire d'autres habits parce que les siens avaient été gâtés pendant son voyage.
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Contes célèbres le
18 Août 2007 à 18:25
Un homme avait un âne qui l'avait servi fidèlement pendant longues
années, mais dont les forces étaient à bout, si bien qu'il devenait
chaque jour plus impropre au travail. Le maître songeait à le
dépouiller de sa peau; mais l'âne, s'apercevant que le vent soufflait
du mauvais côté, s'échappa et prit la route de Brême : « Là, se
disait-il, je pourrai devenir musicien de la ville. » Comme il
avait marché quelque temps, il rencontra sur le chemin un chien de
chasse qui jappait comme un animal fatigué d'une longue course. «
Qu'as-tu donc à japper de la sorte, camarade? lui dit-il. Ah!
répondit le chien, parce que je suis vieux, que je m'affaiblis tous les
jours et que je ne peux plus aller à la chasse, mon maître a voulu
m'assommer; alors j'ai pris la clef des champs; mais comment ferais-je
pour gagner mon pain? Eh bien! dit l'âne, je vais à Brême pour
m'y faire musicien de la ville, viens avec-moi et fais-toi aussi
recevoir dans la musique. Je jouerai du luth, et toi tu sonneras les
timbales. » Le chien accepta et ils suivirent leur route
ensemble. A peu de distance, ils trouvèrent un chat couché sur le
chemin et faisant une figure triste comme une pluie de trois jours. «
Qu'est-ce donc qui te chagrine, vieux frise-moustache? lui dit l'âne.
On n'est pas de bonne humeur quand on craint pour sa tête, répondit
le chat : parce que j'avance en âge, que mes dents sont usées et que
j'aime mieux rester couché derrière le poêle et filer mon rouet que de
courir après les souris, ma maîtresse a voulu me noyer; je me suis
sauvé à temps : mais maintenant que faire, et où aller? Viens avec nous à Brême; tu t'entends fort bien à la musique nocturne, tu te feras comme nous musicien de la ville. »
Le chat goûta l'avis et partit avec eux. Nos vagabonds passèrent
bientôt devant une cour, sur la porte de laquelle était perché un coq
qui criait du haut de sa tête. « Tu nous perces la moelle des os, dit
l'âne; qu'as-tu donc à crier de la sorte? J'ai annoncé le beau
temps, dit le coq, car c'est aujourd'hui le jour où Notre-Dame a lavé
les chemises de l'enfant Jésus et où elle doit les sécher; mais, comme
demain dimanche on reçoit ici à dîner, la maîtresse du logis est sans
pitié pour moi; elle a dit à la cuisinière qu'elle me mangerait demain
en potage, et ce soir il faudra me laisser couper le cou. Aussi crié-je
de toute mon haleine, pendant que je respire encore. Bon ! dit
l'âne, crête rouge que tu es, viens plutôt à Brême avec nous ; tu
trouveras partout mieux que la mort tout au moins: tu as une bonne
voix, et, quand nous ferons de la musique ensemble, notre concert aura
une excellente façon. » Le coq trouva la proposition de son
goût, et ils détalèrent tous les quatre ensemble. Ils ne pouvaient
atteindre la ville de Brême le même jour; ils arrivèrent le soir dans
une forêt où ils comptaient passer la nuit. L'âne et le chien
s'établirent sous un grand arbre, le chat et le coq y grimpèrent, et
même le coq prit son vol pour aller se percher tout au haut, où il se
trouverait plus en sûreté. Avant de s'endormir, comme il promenait son
regard aux quatre vents, il lui sembla qu'il voyait dans le lointain
une petite lumière; il cria à ses compagnons qu'il devait y avoir une
maison à peu de distance, puisqu'on apercevait une clarté. « S'il en
est ainsi, dit l'âne, délogeons et marchons en hâte de ce côté, car
cette auberge n'est nullement de mon goût. » Le chien ajouta : « En
effet, quelques os avec un peu de viande ne me déplairaient pas. » Ils
se dirigèrent donc vers le point d'où partait la lumière; bientôt ils
la virent briller davantage et s'agrandir, jusqu'à ce qu'enfin ils
arrivèrent en face d'une maison de brigands parfaitement éclairée.
L'âne, comme le plus grand, s'approcha de la fenêtre et regarda en
dedans du logis. « Que vois-tu là, grison? lui demanda le coq. Ce que je vois? dit l'âne; une table chargée de mets et de boisson, et alentour des brigands qui s'en donnent â cur joie. Ce serait bien notre affaire, dit le coq. Oui, certes! reprit l'âne; ah! si nous étions là!»
Ils se mirent à rêver sur le moyen à prendre pour chasser les brigands;
enfin ils se montrèrent. L'âne se dressa d'abord en posant ses pieds de
devant sur la fenêtre, le chien monta sur le dos de l'âne, le chat
grimpa sur le chien, le coq prit son vol et se posa sur la tête du
chat. Cela fait, ils commencèrent ensemble leur musique à un signal
donné. L'âne se mit à braire, le chien à aboyer, le chat à miauler, le
coq à chanter puis ils se précipitèrent par la fenêtre dans la chambre
en enfonçant les carreaux qui volèrent en éclats. Les voleurs, en
entendant cet effroyable bruit, se levèrent en sursaut, ne doutant
point qu'un revenant n'entrât dans la salle, et se sauvèrent tout
épouvantés dans la forêt. Alors les quatre compagnons s'assirent à
table, s'arrangèrent de ce qui restait, et mangèrent comme s'ils
avaient dû jeûner un mois. Quand les quatre instrumentistes
eurent fini, ils éteignirent les lumières et cherchèrent un gîte pour
se reposer, chacun selon sa nature et sa commodité. L'âne se coucha sur
le fumier, le chien derrière la porte, le chat dans le foyer près de la
cendre chaude, le coq sur une solive ; et, comme ils étaient fatigués
de leur longue marche, ils ne tardèrent pas à s'endormir. Après minuit,
quand les voleurs aperçurent de loin qu'il n'y avait plus de clarté
dans leur maison et que tout y paraissait tranquille, le capitaine dit
: « Nous n'aurions pas dû pourtant nous laisser ainsi mettre en
déroute; » et il ordonna à un de ses gens d'aller reconnaître ce qui se
passait dans la maison. Celui qu'il envoyait trouva tout en repos ; il
entra dans la cuisine et voulut allumer de la lumière; il prit donc une
allumette, et comme les yeux brillants et en flammés du chat lui
paraissaient deux charbons ardents, il en approcha l'allumette pour
qu'elle prît feu. Mais le chat n'entendait pas raillerie; il lui sauta
au visage et l'égratigna en jurant. Saisi d'une horrible peur, l'homme
courut vers la porte pour s'enfuir ; mais le chien qui était couché
tout auprès, s'élança sur lui et le mordit à la jambe; comme il passait
dans la cour à côté du fumier, l'une lui détacha une ruade violente
avec ses pieds de derrière, tandis que le coq, réveillé par le bruit et
déjà tout alerte, criait du haut de sa solive : Kikeriki!
Le voleur courut à toutes jambes vers son capitaine et dit : « Il y a
dans notre maison une affreuse sorcière qui a souillé sur moi et m'a
égratigné la figure avec ses longs doigts; devant la porte est un homme
armé d'un couteau, dont il m'a piqué la jambe; dans la cour se tient un
monstre noir, qui m'a assommé d'un coup de massue, et au haut du toit
est posé le juge qui criait : « Amenez devant moi ce pendard ! » Aussi
me suis-je mis en devoir de m'esquiver. » Depuis lors, les
brigands n'osèrent plus s'aventurer dans la maison, et les quatre
musiciens de Brême s'y trouvèrent si bien qu'ils n'en voulurent plus
sortir.
Les contes de Grimm
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