• Le dernier des Gracq

    La chronique de Stéphane Denis du 27 décembre.
    Julien Gracq était ce morceau de bronze que la littérature, prévoyante, avait entreposé à Saint-Florent-le-Vieil en prévision du jour où on la considérerait comme une activité d'autrefois. Aussi l'a-t-on enterré avec une révérence un peu ancienne, dans une sorte d'hommage général où perçait le regret. C'était un regret de pure forme car chacun avait bien compris que les mœurs avaient changé. Au même moment, nous apprenions que la lecture ne faisait plus rêver. Au temps d'Internet, des réservations de dernière minute et des billets low-costs, il y avait des façons plus efficaces de voyager. Celui qui faisait ce constat était le président de la République. Comme il avait raison. Cependant, il reste des amateurs de circulation en chambre et de rêve éveillé. Ils en trouvent le plus souvent la matière dans des livres d'autrefois. Après tout, il est parfaitement possible que la lecture n'ait duré qu'un temps, fût-il long et couvert de gloire. C'est très déconcertant pour ceux qui sont nés dedans, mais des tas de choses, de gens, d'habitudes ont fini par disparaître dont nous avons perdu le souvenir. J'ajoute que l'hommage à Gracq a surtout été rendu par une poignée de spécialistes. Les gens du métier, en somme, des critiques nostalgiques qui déjà ne sont plus jeunes et des écrivains qui l'étaient encore quand Gracq leur paraissait admirable.
    Ce qui avait fait la suprématie de Gracq était, me semble-t-il, son rattachement à la longue série des écrivains de cette première moitié du XXe siècle qui restera notre âge d'or. Bien qu'il publiât après la guerre, Gracq était de l'autre bord, comme un dernier rameau peut-être. Sa littérature ressemblait à son département du Maine-et-Loire : aimable, ordonnée, un peu plate, s'animant sur ses fins comme s'agitent les Mauges avant de finir dans la Vendée. Gracq avait le style coulant dont Jean Dutour disait que, quand il coule vraiment, cela peut-être beau comme la Loire. Il l'amidonnerait un peu quand il écrirait en costumes (Le Rivage des Syrtes est un roman en costumes) et dans ses livres les plus poétiques resterait une bonne dose de cet apprêt formel.

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